La MILDECA fait le point sur la législation du CBD

Reprenant le constat de l’essor des produits au CBD, parmi lesquels les e-liquides pour cigarette électronique, mais aussi les fleurs CBD, la MILDECA

(mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) rappelle «la réglementation applicable à ces produits».

Dans les grandes lignes :

• Les variétés de chanvre autorisées à des fins industrielles et commerciales sont celles du catalogue français et européen • L’utilisation et la commercialisation de fleurs ou feuilles de chanvre, ou de produits obtenus à partir de ces parties de la plante, ne sont pas autorisées, quelle que soit la variété • Les e-liquides et autre produits à base de CBD sont interdits s’ils contiennent du THC quelle que soit la quantité et s’ils ne sont pas obtenus à partir de variétés et de partie de plantes autorisées (donc pas de CBD issu de fleurs de chanvre et pas de e-liquide en spectre complet) • Aucune vertu thérapeutique ne peut être revendiquée notamment par les fabricants, vendeurs de produits contenant du CBD, idem pour la publicité.

La publication complète peut être lue sur le site de la MILDECA et reprend globalement les recommandations du RESPADD faites en mars dernier.

Se posent maintenant les questions du devenir des magasins qui vendent des fleurs de CBD, des produits du CBD qui viennent principalement de la fleur (et comment les contrôler, sans parler de l’impossibilité de savoir s’il vient d’une plante du catalogue ou non) et de la possibilité d’avoir 0-traces de THC dans des produits issus du cannabis.

Publié le 11 juin 2018

Faute de réelle régulation, l’industrie du CBD navigue entre textes de loi français, européens, procès et jurisprudences pour savoir ce qu’elle peut faire ou non. Et tout le monde ne s’accorde pas sur le réel état de la loi. Nous avons demandé à 3 experts d’apporter leur éclairage sur deux points soulevés par la MILDECA : la nécessité d’avoir 0 traces de THC et la vente de fleurs de CBD.

Etat de la loi sur le CBD en France : 3 avis d’experts

Publication de Cannabis en France - 13 juin 2018 - Aurélien BERNARD

Yann Bisiou, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, spécialiste du droit de la drogue

Je suis en désaccord avec la MILDECA sur l’exigence d’un taux 0 de THC. Sur des variétés licites et leurs sous-produits, l’interdiction du THC fermerait tout le marché du chanvre licite, et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’interdit (arrêt Hammarsten de 2003).

Le droit européen a peu d’effets sur le problème posé par la situation française. En effet, depuis la réforme de la PAC (règlement UE n°1308/2013 du 17 décembre 2013), le « secteur lin et chanvre » ne concerne plus que la culture et l’importation des fibres du chanvre. Les graines relèvent aujourd’hui d’une autre catégorie (« autres produits ») pour laquelle l’importation est réglementée, notamment pour éviter tout développement de variétés ayant un taux de THC trop élevé.

La seule véritable obligation qui pèse sur les États est qu’ils ne peuvent s’opposer au développement d’une politique commune. Dans l’arrêt Hammarsten de 2003, la CJUE a ainsi précisé qu’une législation nationale ne pouvait s’opposer à la culture et à la détention du chanvre industriel.

Rien n’interdit donc à la France de limiter la commercialisation des produits du chanvre, même issus de variété légales, tant que culture et importation sont possibles. En revanche, s’agissant du cannabidiol (CBD) qui n’est pas un stupéfiant, il n’est pas soumis à ces contraintes, et de mon point de vue, sa commercialisations est donc licite. Le gouvernement a, en revanche, tout loisir de l’organiser en application de l’article R5132-87 du code de la santé publique.

Ingrid Metton, avocate

Il y a une contradiction flagrante entre la possibilité de culture du chanvre à un taux inférieur à 0,2%, et la possibilité de commercialiser du CBD qui est forcément issu des plants de chanvre dont le taux peut être inférieur à 0,2%.

D’ailleurs, la note de la MILDECA porte cette contradiction puisqu’elle énonce que :

  • « Dès lors, tout produit contenant du cannabidiol extrait de la plante de cannabis est interdit sauf s’il entre dans le cadre de la dérogation ci-après mentionnée. »
  • « Cette dérogation à ce principe d’interdiction existe afin de permettre l’utilisation du chanvre à des fins industrielles et commerciales »
  • « Ainsi, certaines variétés de cannabis ou de chanvre, dépourvues de propriétés stupéfiantes, peuvent être utilisées à des fins industrielles et commerciales sous trois conditions cumulatives (variété du catalogue, graines et fibres, taux de THC) »

Cette règle ne s’appliquerait à mon sens qu’aux produits dérivés qui seraient produits en France. Interdire la vente de produits manufacturés dans un autre pays européen où l’utilisation de la plante est légale porterait atteinte au marché commun.

Je suis aussi en désaccord sur le point suivant : l’interdiction de la fleur de chanvre.

Le traité sur le fonctionnement du l’UE pose le principe de la libre circulation des marchandises (articles 34 à 37), ce qui inclut les produits agricoles et les produits de première transformation (article 38) listés à l’Annexe 1 du traité. L’annexe 1 chapitre 57 vise le « chanvre (Cannabis Sativa) brut, rouille, teillé, peigné ou autrement traité, mais non filé ; étoupes et déchets (y compris effilochés) ».

Ainsi, le droit européen ne pose aucune restriction quant à la partie de la plante qui peut être produite et commercialisée. Seule restriction possible par les Etats membres : restriction relative aux risques pour la santé humaine. La fleur doit être considérée comme un produit agricole puisqu’elle est brute.

L’arrêt Hammarsten de la CJUE de 2003 pose ensuite le principe suivant :

  • « Toutefois, il ressort des deux premiers considérants du règlement n°1430/82 que les risques pour la santé humaine que comporte l’usage des stupéfiants ont précisément été pris en compte dans le cadre de l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre «
  • « Il y a lieu de constater, d’une part, que l’interdiction qui découle de la législation suédoise relative aux stupéfiants de cultiver et de détenir du chanvre industriel couvert par l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre porte directement atteinte à cette organisation commune «

Ainsi, selon la CJUE, les risques pour la santé humaine ont suffisamment été pris en compte par les normes européenne relatives au chanvre, interdisant toute norme plus restrictive de la part des Etats.

L’arrêt parle effectivement de chanvre industriel. Mais le règlement européen 1308/2013 traite de la réglementation relative à « l’organisation commune des produits agricole » sans plus de précision. La fleur, en tant que produit agricole non travaillé, doit pouvoir être commercialisée si son taux de THC est inférieur à 0,2% et si elle appartient à une variété autorisée en France.

Si elle devait être exclue du champ d’application des règles du marché commun, seule la CJUE en a la compétence. La France ne peut pas décider seule de poser des limites au marché commun.

Sylvie Massart, Laborantine spécialisée en génie génétique et industries pharmaceutiques

Sur l’aspect juridique, le règlement CE 1782/2003, abrogé depuis mais dont la teneur a été conservée dans sa dernière version, réglemente la culture du chanvre dans l’Union Européenne et s’impose à la France comme le rappelle un arrêt de la Cour Européenne (C-207/08) citant : « La juridiction nationale chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les normes du droit communautaire a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale ».

Partant de cet arrêt, la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres ne peut être interdit. Aucune mention n’est faite d’une restriction sur les fleurs ni les feuilles. Une restriction unique se fait sur le taux de delta-9-tétrahydrocannabinol qui doit être inférieur à 0,2% mesuré par rapport au poids de matière sèche. Aucune restriction n’est faite sur les produits dérivés du chanvre.

L’OMS rappelle par ailleurs dans son critical review sur le CBD que le CBD n’est en aucun cas listé par les conventions de l’ONU et qu’il n’y a aucune recommandation pour le faire puisque le CBD ne présente pas de potentiel d’abus. Qu’il y a un usage non sanctionné de CBD extrait de plantes à dominante CBD (donc le chanvre), on ne peut se vanter de ses propriétés médicales.

Concernant le cannabis ( à dominante THC donc), il est pour l’instant listé en Schedule 1 donc interdit ainsi que ses dérivés sauf à usage médical. Une pré-review du Cannabis, du delta-9-THC, de ses isomères ainsi que des dérivés est pour l’instant en cours et devrait sortir très rapidement. Ces recommandations seront présentées à l’ONU.

Le CBD n’est pas un tétrahydrocannabinol mais plutôt un antagoniste de ceux-ci. Il agit par ce que l’on appelle un rétrocontrôle en compensant l’effet du THC. Le Sativex présente d’ailleurs un ratio de 1:1, c’est à dire le même taux de THC et de CBD ce qui contre ses effets psychoactifs.

L’Agence Mondiale Anti-dopage a également sorti le CBD de sa liste des produits dopants en décembre 2017 et les sportifs l’utilisent de plus en plus comme outil de récupération d’entraînement et le soulagement de la douleur musculaire induit par celui ci.

Si l’on suit les recommandations de la MILDECA, où va-t-on trouver le CBD qu’ils n’interdisent pas :

  • Dans la tige de chanvre : elle est utilisée pour les fibres (papier, isolation bâtiment etc…)
  • Dans la graine : elle en contient peu et contient plutôt des acides Omega-3 et 6.
  • Dans un autre pays
  • Produit synthétiquement, alors qu’on le trouve naturellement dans le chanvre

Le projet porté par la MILDECA est juridiquement et scientifiquement erroné.